L'Espagne, pays des grands espaces, est ici principalement rendue par des murs aveugles et des vues enfermées. La domination des lignes, des volumes, des jeux d'ombres, semble prendre le pas sur tout autre type de préoccupation. D'un côté le plein oppresse, le vide inquiète, mais d'un autre, l'équilibre des compositions, lui, rassure, il donne un repère .
J'ai photographié une expérience, un questionnement équivoque du territoire espagnol. Comme dans beaucoup de régions du monde, l'exode rural y a été très rapide, et surtout très massif. Des milliers de villages et de petites villes se retrouvent aujourd'hui totalement endormis. Autour, les terres sont toujours aussi vastes, mais elles sont devenues inutiles, ou défigurées par le remembrement.
A travers un formalisme apparemment froid et distant, l'impasse du développement urbain sans fin est traitée de manière détournée, loin des banlieues interminables et laides, loin des programmes de construction inhumains et démesurés. Aussi, cette impasse s'exprime par la récurrence de la thématique du mur, figure de l'obstacle, de la fin de parcours. Les petites ouvertures, les perspectives vers le ciel ou l'horizon, la présence plus marquée du paysage au fur et à mesure de la narration, indiquent finalement une sorte d'optimisme mélancolique.
L'esthétique de cet Eldorado est une invitation à venir reconquérir tous ces territoires délaissés, beaux et tragiques comme un amour perdu.
Texte
Chacun son Eldorado. Le mien se situe en Espagne. Je suis donc une sorte de deconquistador, ou un conquistador à l'envers, si l'on veut. J'ai tout de même un point commun avec ceux qui, jadis, sont partis prendre des terres sur un continent lointain, la quête insensée d'un mythe, la poursuite d'un mirage. Et ici, l'or qui m'appelle, ce sont des visions, puissantes, directes, jaillissant en panoramique de ces vastes terres pleines de silences et de matières.
Plateaux arides, montagnes lointaines, routes sans fin, villages isolés, voici mon Far West imaginaire, l'espace de conquête de toutes mes obsessions. L'Espagne de la poussière, du soleil et du vent. L'Espagne de Sergio Leone, immense, brute, filmique. L'Espagne qui me saute aux yeux, qui m'assaille et me hante. Celle qui m'oblige à tourner sans cesse, traversant sans m'arrêter des régions entières, fonçant à l'instinct, d'un point à l'autre, comme attiré par des oasis improbables faits de béton et de briques.
Mon Eldorado est espagnol, dressé dans un décor d‘asphalte, de murs opaques et de déserts humains. Entre inspiration et hypnose, j'y photographie le film que je finis par être persuadé de vivre. Un film d'aventure, intense et intime, sans histoire ni héros, avec pour simple scénario une petite légende :
« Ne pensez pas à ce que vous voyez, voyez ce que vous pensez. »